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Samedi 5 septembre 2009 6 05 /09 /Sep /2009 18:57

La Grande Peur de 1789, de Georges Lefebvre, est un classique dans l’historiographie de la Révolution française. Publié en 1932, il fait, encore aujourd’hui, autorité.

Né en 1874 à Lille, Georges Lefebvre obtient l’agrégation d’histoire et de géographie en 1898. Étudiant d’abord le Moyen Age, il s’intéresse ensuite à la Révolution française, orienté par ses convictions politiques de gauche – socialiste, il a été guesdiste dans sa jeunesse et est lié à Jean Jaurès. En 1924, il est nommé à la faculté de Clermont-Ferrand. La même année, il soutient sa thèse, Les paysans du Nord pendant la Révolution. En 1928, il devient professeur à Strasbourg. C’est en 1932 qu’il publie La Grande Peur de 1789, qui est resté un classique. Nommé à la Sorbonne en 1935, il obtient la chaire d’histoire de la Révolution française en 1937 – il la conserve jusqu’en 1945. En 1951 est publiée une édition revue de La Révolution française qu’il avait rédigée pendant la guerre. Il a aussi publié un Napoléon en 1941, dans lequel il faisait de l’Empereur l’héritier et le défenseur des conquêtes de la Révolution. Georges Lefebvre est décédé en 1959. En 1971 est publié, à titre posthume, La naissance de l’historiographie moderne, qui est un cours que Lefebvre avait donné en 1945-1946.


Les vagabonds, les émeutes, la faim…


Dans une première partie, Georges Lefebvre brosse le tableau des campagnes en 1789. La faim est la grande ennemie. Elle pousse un certain nombre de personnes à la mendicité, laquelle est la plaie des campagnes. Or, la circulation des vagabonds inquiète car ils constituent des figures étrangères. « Alors, note Georges Lefebvre, la peur s’éveillait. » Au moment de la récolte, en particulier, les paysans craignent les pillages. En ce temps de disette, la faim provoque aussi des émeutes, lesquelles peuvent déclencher ou fortifier la peur. Les jacqueries ne sont pas nouvelles. Mais ce qui est nouveau, en 1789, c’est la convocation des états généraux.

Cette convocation a suscité une immense espérance. Les paysans sont convaincus que les taxes et autres droits seigneuriaux vont disparaître. Au printemps 1789, les soulèvements contre la disette se doublent d’une révolte contre les impôts et contre les privilégiés. La diffusion de ces troubles fatigue et éparpille l’armée. Les municipalités urbaines décident de se défendre elles-mêmes et les communautés rurales exigent la restitution de leurs armes. Les populations voient l’apparition de l’ennemi dans n’importe quelle circonstance : une colonne de poussière, une lueur… Lefebvre rappelle qu’il y a déjà eu des peurs sous l’Ancien Régime, comme en 1703 dans le diocèse de Vabres. Il montre qu’à l’origine il y a toujours l’idée qu’un parti menace la vie et les biens des personnes. En 1789, ce qui fortifie la peur, c’est l’idée d’un « complot » et l’inquiétude après le 14 juillet.

Dans sa deuxième partie, l’auteur étudie le « complot aristocratique ». L’opinion émet des soupçons sur le clergé et la noblesse qui aimeraient, avec la complicité de la cour, faire dissoudre les états généraux. Même la fusion des trois ordres après le 23 juin ne calme pas les esprits. Les premières paniques ont lieu à Paris et après le 14 juillet, les esprits ne sont pas rassurés : ces nobles qui émigrent, ne sont-ils pas la preuve qu’un complot existe toujours ? Comment imaginer qu’ils vont se tenir tranquilles ? Ainsi, la cause déterminante de la Grande Peur réside dans la synthèse entre, d’une part, les causes innombrables d’insécurité, étudiées dans la première partie, et l’idée d’un complot aristocratique.


L’idée du « complot aristocratique »


Un deuxième chapitre s’intéresse à la propagation des nouvelles. Celles-ci se diffusent, dans les campagnes, principalement, par la voie orale, avec tous les inconvénients que ce moyen suppose dans la mesure où l’oralité facilite la multiplication des fausses nouvelles et la déformation des faits. Georges Lefebvre conclut finalement que la Grande Peur ne fut rien d’autre qu’une gigantesque « fausse nouvelle ».

Les deux chapitres suivants sont consacrés aux réactions de la province vis-à-vis du « complot aristocratique ». D’abord, dans les villes, l’idée du complot existe déjà quand arrivent les premières nouvelles de Paris. Des insurrections urbaines éclatent, et elles alarment les campagnes qui prennent peur à leur tour. Pour les ruraux, ces émeutes urbaines ne sont qu’un signe supplémentaire de l’existence du complot. Par ailleurs, la nouvelle de la réconciliation du roi avec les Parisiens le 17 juillet ayant donné tort aux conjurés, les habitants des campagnes pensent que le monarque a du donner des ordres pour abolir le régime féodal. Mais rien n’étant dit sur le sujet, les paysans imaginent que les seigneurs ont caché cet ordre du roi. C’est pour eux encore une preuve de l’existence du complot aristocratique.

Le cinquième chapitre étudie les révoltes paysannes, dues au manque de travail et à la disette. Les cibles des insurgés sont les impôts, les agents du roi et les privilégiés. Ces révoltes sont en rapport direct avec les bruits concernant le complot et sans lesquels la Grande Peur n’aurait pas été possible. Dans plusieurs régions, elles sont même la cause immédiate de la Grande Peur.

Ces troubles qui augmentent l’insécurité ont pour effet de faire courir des rumeurs sur des brigands qui se disperseraient depuis les villes dans les campagnes. L’annonce des brigands suscite des paniques locales. Cette crainte et celle des aristocrates est intimement liée dans les esprits populaires.


L’abolition des privilèges


Dans sa dernière partie, l’auteur étudie la Grande Peur proprement dite. Il avertit que la peur des brigands n’est pas la Grande Peur, cette dernière possédant des caractères propres. L’arrivée des brigands est considérée comme une certitude – et non plus comme une possibilité. Et les paniques se propagent très loin, elles ne sont plus locales, ce qui, d’ailleurs, renforce ou entretient la Peur.

Les « paniques originelles » surviennent à la fin du mois de juillet, à une période où l’insécurité est très menaçante et à la veille des moissons, c’est-à-dire à une période où les esprits sont particulièrement échauffés. Ces courants de peur sont soit en relation avec la situation politique de la France (complot aristocratique), soit avec la situation économique et la crainte des errants. Les paniques sont colportées souvent par des personnes sans mandat : des gens venus prévenir des amis ou des parents, des voyageurs, des fugitifs… Des paniques originelles ont ensuite découlé les « paniques de l’annonce » au cours desquelles le tocsin sonne, les préparatifs de défense se mettent en place. Enfin, les « paniques-relais » favorisent la propagation de la Grande Peur et renouvellent, au passage, sa puissance. Ces relais sont les conséquences des paniques de l’annonce : des paysans sont pris pour des brigands, des milices urbaines pour des troupes étrangères… Enfin, dans un sixième chapitre, Georges Lefebvre étudie les grands courants de la Grande Peur en France.

Le chapitre sept, intitulé « Les peurs ultérieures », rappelle que ces mouvements ont perduré tant que la Révolution était en péril. Au chapitre suivant, Lefebvre s’intéresse aux conséquences de la Grande Peur. Il en identifie deux majeures : d’une part, la naissance d’un sentiment d’unité et de fierté nationales pour achever la défaite de l’aristocratie ; d’autre part, la précipitation de la ruine du régime seigneurial.

En conclusion, l’auteur rappelle que la Grande Peur a bien préparé la nuit du 4 août au cours de laquelle furent abolis les privilèges.


L’ouvrage de référence sur la Grande Peur


Publié en 1932, ce livre n’a pourtant pas vieilli car ses conclusions n’ont pas été remises en cause depuis. C’est donc l’ouvrage de référence sur la Grande Peur.

L’originalité du livre réside dans l’étude de la psychologie collective. Ce sont les représentations qui importent. Le complot, dans la réalité, n’existait pas. Mais ce qui importe, c’est que les contemporains, eux, y aient cru. Et cette idée de complot est cruciale dans la Grande Peur. La Grande Peur de Lefebvre s’inscrit dans l’étude des mentalités avec d’autres livres d’histoire très célèbres, comme Les rois thaumaturges de Marc Bloch [
1] et Martin Luther de Lucien Febvre.





LEFEBVRE, Georges, La Grande Peur de 1789, suivi de Les foules révolutionnaires, Paris, Armand Colin, 1988, présentation de Jacques Revel.



[1] Cf. "Les rois thaumaturges" de Marc Bloch.


Publié dans : Classiques
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