L’idée que les attentats du
11-Septembre auraient été manigancés par la Maison Blanche a fait
son chemin. Or, réplique Alexander Cockburn, figure marquante de la
gauche radicale aux Etats-Unis, une telle croyance témoigne,
paradoxalement, d’une forme d’hébétude devant la puissance
américaine, alors même que celle-ci échoue dans des entreprises bien
moins herculéennes que l’éventuelle réalisation (puis la
dissimulation) d’un tel complot.
Le complot du 11-Septembre
n’aura pas lieu
Par Alexander Cockburn,
journaliste américain bien connu.
Où se trouvait la gauche américaine lors de la
campagne qui, le 7 novembre, s’est conclue par la victoire des
démocrates dans les deux chambres du Congrès ? Etait-elle dans la
rue pour mobiliser contre la guerre d’Irak ? Non, le mouvement
antiguerre est inerte depuis des mois. Et, lors de l’une des rares
manifestations pacifistes organisées dans ma ville d’Eureka, en
Californie, lorsqu’on m’a demandé de prendre la parole, trois des
cinq orateurs n’évoquèrent même pas le conflit en cours. Ils
préférèrent assommer le public – et éclaicir les rangs de
l’assistance – à coups de ratiocinations interminables sur les
attentats du 11 septembre 2001. Leur objectif ? Prouver qu’on était
en présence d’un complot intérieur fomenté par MM. George W. Bush et
Richard Cheney ou (variation du même thème) par des puissances
obscures dont les locataires de la Maison Blanche furent les simples
porteurs d’eau.
Cinq ans après les attentats, la «
théorie du complot » relative au 11-septembre a pénétré les défenses
de la gauche américaine. On la retrouve également au sein de la
droite « populiste » ou « libertarienne », ce qui n’a rien de
surprenant puisque ces deux courants de pensée se défient
instinctivement de l’Etat et cherchent souvent à débusquer le
comploteur le plus adapté à leur animosité du moment, qu’il s’agisse
du fisc, de l’Agence fédérale de gestion des urgences (Federal
Emergency Management Agency, FEMA), des Nations unies (1) ou des
juifs.
Par les temps qui courent, rares sont les militants de
gauche qui apprennent l’économie politique en lisant Karl Marx. Ce
vide théorique et stratégique a profité à des théories du complot
qui perçoivent dans les méfaits de la classe dirigeante non pas la
crise d’accumulation du capital, ou la recherche d’un taux de profit
plus élevé, ou les rivalités interimpérialistes, mais des manigances
ourdies dans des lieux donnés : le Bohemian Grove (2), le groupe de
Bilderberg, Davos, etc. Sans oublier des institutions et agences
maléfiques, la Central Intelligence Agency (CIA) entête. Le «
complot » du 11-Septembre a poussé toutes ces fariboles à leur
paroxysme.
On trébuche sur l’absurdité centrale de cette
thèse dès le premier paragraphe du livre de l’un de ses grands
prêtres, David Ray Griffin. Dans Le Nouveau Pearl Harbor (3), il
écrit : « Le meilleur démenti de la version officielle réside dans
le déroulement même des événements du 11-septembre. (...) Compte
tenu des procédures habituelles en cas de détournement d’avion
(...), aucun de ces appareils n’aurait dû atteindre sa cible, encore
moins les trois à la fois. »
Une foi absolue dans
l’efficacité américaine. Le mot-clé est « n'aurait dû ». Un des
traits caractérisant les adeptes du complot est qu’ils ont une foi
absolue dans l’efficacité américaine. Nombre d’entre eux partent
même d’un postulat raciste, qu’on retrouve dans certains de leurs
écrits, en vertu duquel des Arabes n’auraient jamais pu mener à bien
ce genre d’attentat. En revanche, ils croient que les dispositifs
militaires américains opèrent comme le promettent les attachés de
presse du Pentagone et les représentants de commerce des industries
d’armement. Ils ne doutent pas, par conséquent, que quand le vol 11
d’American Airlines cesse d’émettre à 8 h 14, un contrôleur aérien
de la Federal Aviation Administration (FAA) aurait « dû » aussitôt
faire appel au centre de commandement militaire national et au
commandement de la défense aérospatiale américaine (Norad). Et ils
sont certains, puisqu’ils l’ont lu « sur le site Internet de l’US
Air Force », qu’un F-15 aurait alors « dû » intercepter le vol «
vers 8 h 24 et en tout cas pas plus tard que 8 h 30
».
Ont-ils jamais lu un livre d’histoire militaire ? Ils y
auraient appris que les opérations planifiées avec le plus de soin –
a fortiori quand il s’agit d’une anticipation de riposte à une
menace sans précédent historique –échouent pour des raisons liées à
la stupidité, ou à la lâcheté, ou à la corruption, ou à quelque
autre défaut de la nature humaine. Sans même parler des
impondérables climatiques. Selon les plans les plus minutieux du
Strategic Air Command (SAC), une attaque lancée par l’Union
soviétique devait autrefois provoquer l’ouverture des silos de
missiles du Dakota du Nord, laquelle aurait alors libéré les
projectiles intercontinentaux ICBM vers Moscou et autres cibles
désignées. Pourtant, chacun des quatre tests de ce genre échoua, au
point que le SAC dut y renoncer. Etait-ce à cause d’un équipement
défectueux, d’une incompétence humaine, de l’escroquerie d’un
équipementier militaire ? Ou... d’un complot ?
La tentative
du président démocrate, M. James Carter, le 24 avril 1980, de
libérer les otages de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran se
termina-t-elle en fiasco parce qu’une tempête de sable avait rendu
inutilisables trois des huit hélicoptères, parce qu’ils étaient mal
construits, ou... parce que des agents de M. Ronald Reagan
(l’élection présidentielle américaine eut lieu sept mois plus tard)
auraient versé du sucre dans les réservoirs ? Quand M. Cohen
augmente les prix de son petit commerce, est-ce parce qu’il veut
gagner 1 dollar de plus, parce que son loyer a augmenté, ou... parce
que les juifs veulent dominer le monde ?
Quelques
photographies de l’impact de l’« objet » – c’est-à-dire du Boeing
757, vol 77 – font songer au trou que provoquerait un missile.
Voyez, disent les avocats de la thèse d’un putsch intérieur, ce
n’est pas le Boeing 757 mais bien un missile qui a atteint le
Pentagone. L’idée que, au moment de la réalisation de certains
clichés, de la fumée aurait pu modifier la taille apparente de la
perforation est rejetée d’emblée.
Remarque de J.P.Petit :
Quel argument imbécile ! Ce type n'a pas la moindre idée de ce
que peut donner l'impact d'un appareil de 150 tonnes sur la
facade d'un tel bâtiment, ni sur la difficulté liée au fait
d'amener un tel appareil sur sa cible en volant à 600 km/k,
avec ses moteurs à 50 cm du sol, alors qu'il est censé être
entre les mains de pilotes inexpérimentés. Il ne se pose pas
question de savoir pourquoi le gazon est resté intact. Il
est évident que Cockburn ne s'est pas soucié un seul instant
des aspects techniques du problème. Simplement parce
qu'il s'en fout. C'est un manque de conscience professionnelle
complet. |
Peu importe par conséquent que M. Charles Spinney,
qui a quitté le Pentagone après avoir pendant des années fait
connaître les extravagances budgétaires du ministère de la défense,
m’ait précisé : « Les photos de l’avion percutant le Pentagone
existent. Elles ont été prises par les caméras de surveillance de
l’héliport, situé juste à côté du point d’impact. Je les ai vues. A
l’arrêt et en mouvement. Je n’ai pas assisté au crash de l’avion,
mais le chauffeur du véhicule d’où je suis sorti à ce moment précis
l’a vu avec tant de précision qu’il a même distingué les visages
terrifiés des passagers aux fenêtres. Et je connais deux personnes
qui se trouvaient dans l’appareil. L’une d’entre elles a été
identifiée grâce à ses dents retrouvées dans le Pentagone. »
Remarque de J.P.Petit : Où sont ces
clichés ? |
Les adeptes du complot vont-ils objecter que M. Spinney a
déjà servi l’Etat, que les identifications dentaires ont été
falsifiées, que le Boeing 757 a été détourné vers le Nebraska pour
un rendez-vous avec le président Bush, lequel a ensuite abattu les
passagers, brûlé les corps sur le tarmac et offert les dents de
l’ami de M. Spinney à M. Cheney, afin que celui-ci puisse les faire
tomber de son pantalon troué lors d’une inspection des débris du
Pentagone... ?
Ironie mise à part, des centaines de personnes
ont vu l’avion, qui savent différencier un appareil de ligne d’un
missile. Et puis, pourquoi ceux qui furent blessés ce jour-là, ceux
qui perdirent des amis ou des collègues participeraient-ils
aujourd’hui à une telle mise en scène ? D’ailleurs, à quoi bon
utiliser un missile quand on dispose d’un avion et – si l’on suit la
thèse des adeptes du complot – qu’on a déjà réussi à faire s’écraser
(grâce à une commande à distance...) deux appareils contre des
cibles beaucoup plus difficiles à atteindre, les deux tours de New
York
Remarque de J.P.Petit : Comment amener
l'appareil sur sa cible, aux mains de pilotés disposant d'une
formation sommaire ? Ca n'est pas du journalisme, c'est
n'importe .... quoi. |
M. Oussama Ben Laden a revendiqué les
attentats ? C’est que, nous dit-on, il est payé par la CIA. Et ainsi
de suite... Au fond, quel est le but de tout cela ? Prouver que MM.
Bush et Cheney sont capables de tout ? A ceci près qu’ils n’ont
jamais apporté la preuve du niveau de compétence requis pour réussir
une opération si sophistiquée. Au lendemain de la victoire des
troupes américaines en Irak, ils n’ont même pas été capables de
faire transporter sur place quelques caisses portant l’inscription «
ADM » pour « armes de destruction massive ». Il leur aurait pourtant
presque suffi de les montrer à une presse enchantée pour que la
photographie fasse le tour du monde – et que la « preuve » de la
justesse de la guerre soit établie.
La victoire électorale
des démocrates va bientôt nous rappeler que MM. Bush et Cheney ne
sont pas à ce point différents des responsables de la politique
étrangère américaine qui les ont précédés, ou de ceux qui les
suivront. Un consensus bipartisan existe sur les questions d’Israël,
de l’Irak, etc. En cherchant à nous convaincre de la dangerosité
inédite de l’administration au pouvoir, les adeptes du complot
contribuent à alimenter le fantasme qu’une nouvelle administration –
Clinton, Gore ou une autre – s’emploierait à poursuivre des
politiques beaucoup plus humaines que celles de
l’actuelle.
Les tours, nous dit-on encore, ne se sont pas
écroulées à une vitesse inattendue parce qu’elles étaient mal
construites (pour des raisons liées à la corruption, ou à
l’incompétence des entreprises de travaux publics, ou au laxisme de
la réglementation), et parce qu’elles ont été percutées par de gros
avions bourrés de carburant. Elles seraient tombées à la manière
d’un mille-feuille parce que des agents de M. Cheney – et il en a
fallu beaucoup ! – auraient truffé les étages de charges explosives
dans les jours précédant le 11-Septembre. Ce fut une entreprise
impliquant des milliers de personnes, toutes complices d’un
assassinat de masse et toutes silencieuses depuis.
.
Remarque de J.P.Petit : Toujours le même
argument ( ou absence d'argument ) : "je n'ai pas d'autre
explication à vous fournir, qui tienne la routre
techniquement. Mais je refuse la vôtre car je ne peux croire à
une pareille chose" |
Nous savons pourtant depuis Machiavel
qu’une machination court d’autant plus le risque d’être dévoilée
qu’elle fait appel à un nouveau complice (4). Au demeurant, dans le
cas des terroristes du 11-Septembre, nombre d’entre eux avaient fait
part de leur projet. C’est vraisemblablement l’idée que des Arabes
armés de cutters ne réaliseraient jamais un tel attentat qui
explique qu’on ne les ait pas pris au sérieux et qui en a protégé le
secret.
Remarque de J.P.Petit : Il existe un
autre aspect qui rend une version difficile à croire, c'est sa
monstruosité. Si les Nazis avaient disposé d'un temps
suffisant pour faire disparaître toute trace des camps
d'extermination, peu de gens auraient accepté de croire de
pareilles choses. Si on n'avait pas retrouvé les traces des
actes de barbarie de Staline et ses charniers, qui aurait pu
croire que cet homme aurait froidement liquidé des millions
d'hommes et de femmes ? Etc. |
Un logicien et frère Franciscain
britannique du XIVe siècle nous a appris que, quand un fait peut
être expliqué de plusieurs manières, l’explication la plus probante
est celle qui réclame le nombre le moins élevé d’hypothèses
successives (principe dit « du rasoir d’Ockham »). Or, dans le cas
du 11-Septembre, le recours à l’hypothèse des charges explosives
n’est absolument pas nécessaire pour comprendre la chute accélérée
des tours, y compris la tour 7 non percutée par un avion. Un
ingénieur a disséqué les raisons pratiques qui rendent la théorie
des explosifs à ce point improbable qu’elle en devient absurde
(5).
Remarque de J.P.Petit : Quel ingénieur,
où, comment ? Voilà un journaliste bien discret sur ses
sources et les bases de son argumentation. C'est tout sauf un
travail de journaliste. |
Il y a aux Etats-Unis nombre de vrais complots.
Pourquoi en fabriquer de faux ? Chaque année, les grands
propriétaires et les autorités de New York « conspirent » pour
réduire le nombre de casernes de pompiers, de façon à ce que des
quartiers brûlent plus facilement et que les pauvres qui y résident
encore les quittent, afin que des promoteurs puissent construire
plus facilement des résidences de standing. On observe le phénomène
à Brooklyn, mais aussi à San Francisco, où ce qui reste de
population noire habite un quartier comportant neuf cents hectares
de terrain avec une vue imprenable sur la baie. Pourquoi ne pas
s’intéresser plutôt à ce type de « complot » ?
Les Russes,
disait-on, n’auraient jamais pu construire une bombe atomique sans
des traîtres communistes à leur service. Hitler avait déjà été
victime d’une trahison du même ordre, faute de quoi ses troupes
n’auraient jamais été vaincues par l’Armée rouge. John Fitzgerald
Kennedy ne pouvait être tué par Lee Harvey Oswald : là, c’était un
coup de la CIA. Et l’on ne compte plus les explications de ce genre
« prouvant » que ni les Russes, ni les Arabes, ni les Vietnamiens,
ni les Japonais n’auraient pu réaliser ce que chaque fois réussirent
des cabales de comploteurs chrétiens blancs. Ce genre d’analyse
économise bien des lectures et allège le fardeau de la réflexion.
Dans les années 1950, la peur d’une guerre atomique n’avait-elle pas
engendré des hallucinations de soucoupes volantes ?
Remarque de J.P.Petit : Voilà qui me
rappelle la position de la Pravda, reprise par le journal
communiste français l'Humanité : "Les soucoupes volantes
décollent des pages de la presse bourgeoise pour détourner les
travailleurs de leurs justes revendications".
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Certains militants de la gauche américaine
estiment que toute pluie est le prélude à un arc-en-ciel. L’un
d’eux, bien que se gaussant de la thèse d’un « complot intérieur »
le 11 septembre 2001, m’a précisé : « Ce qui m’intéresse dans cette
affaire, c’est de découvrir le nombre considérable de gens disposés
à croire que Bush a soit fomenté les attentats, soit su qu’ils
auraient lieu, et laissé faire. Cela suggère qu’un très grand nombre
d’Américains n’accordent plus aucune confiance à leurs élus. Et
c’est ça qui compte. » « Je ne suis pas certain, lui ai-je répondu,
qu’on trouve avantage à un tel cynisme. ll démobilise et éloigne la
population de batailles politiques qui pourraient être productives.
» Car la théorie du complot naît du désespoir et de l’infantilisme
politique. Imaginer qu’elle puisse déboucher sur une énergie
progressiste revient à croire qu’un illuminé qui s’époumone au coin
d’une rue révélera forcément des talents de grand orateur.
Remarque de J.P.Petit : Ces propos
rappellent ceux des communistes qui critiquaient les
interrogations portant sur les camps staliniens sous prétexte
"que ceci risquait de démobiliser l'électorat de gauche". Les
gens de ma génération ont vécu cela.
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Dans son livre sur les services secrets
britanniques, Richard J. Aldrich décrit la façon dont un rapport du
Pentagone a recommandé que des documents relatifs à l’assassinat de
Kennedy, tout juste déclassifiés, soient mis sur Internet.
L’objectif visé ? « Apaiser le désir incessant du public de
connaître des “secrets” en lui procurant de la matière à diversion.
» Et Aldrich ajoute : « Si les journalistes d’investigation et les
spécialistes de l’histoire contemporaine consacrent tout leur temps
aux questions à la fois inextricables et usées jusqu’à la corde, on
les verra moins sur les terrains où ils ne sont pas les bienvenus
(6). » Ne peut-on pas alors imaginer que la Maison Blanche se
réjouit des obsessions relatives au « complot » du 11-Septembre,
lesquelles détournent l’attention des mille et une réelles
manigances du système de domination actuel ? Plus fondamentalement,
le philosophe Theodor Adorno a estimé, dans Minima Moralia (7), que
« le penchant pour l’occultisme est un symptôme de régression de
laconscience ».
Alexander Cockburn.
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