On cite volontiers les noms d’Olympe de Gouges, Madame Rolland ou Thérésa
Cabarrus quand il s’agit d’évoquer les
grandes figures féminines de la période révolutionnaire et, ce faisant, on
oublie l’un des principaux et des plus originaux de ces noms, celui de
Théroigne de Méricourt (1762-1818). Son
curieux destin mérite d’être rapidement retracé.
Née Anne-Josèphe Théroigne dans
une famille paysanne de la Wallonie, non loin de Liège, elle subit une enfance de Cosette, traitée en
domestique et battue par les divers parents qui l’eurent à charge. Elle n’eut
aucune éducation avant l’âge de 16 ans où le hasard la fit devenir demoiselle
de compagnie d’une dame d’Anvers. Malgré cette renaissance, elle s’amouracha
bien vite d’un bel Anglais qui, comme de juste, l’entraîna dans une vie de
débauches après lui avoir promis la Lune. C’est alors qu’elle commença une
carrière de demi-mondaine qui, pour prix de ses voyages à travers toute
l’Europe, lui fit contracter une douloureuse maladie vénérienne.
Apprenant les événements survenus
à Paris au début de l’été 1789,
mademoiselle Théroigne fut brusquement happée par la passion politique. Elle ne
tarda pas à devenir une fidèle spectatrice des débats parlementaires et, grâce
aux économies accumulées auprès de quelques riches amants, ouvrit dès l’automne un salon
recevant les hommes politiques les plus en vogue. Appelée Théroigne « de
Méricourt » (du nom de son village natal) par ses adversaires royalistes,
ses admirateurs l’affublèrent pour leur part du très original surnom de « la
belle Liégeoise ». Quoi qu’il en
soit, ces dénominations attestent du fait qu’elle devint célèbre dès la fin de
l’année 1789.
Contrairement à la légende bâtie
par la propagande royaliste, elle ne prit, semble-t-il, aucune part aux journées d’octobre durant lesquelles les femmes du
peuple parisien allèrent à Versailles chercher « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ».
Michelet, peut-être abusé par
cette propagande, nous a au moins laissé cette belle description :
« C’était la jolie demoiselle Théroigne de Méricourt, une Liégeoise, vive et emportée, comme tant de femmes de Liège qui firent les révolutions du quinzième siècle, et combattirent vaillamment contre Charles le Téméraire. Piquante, originale, étrange, avec son chapeau d’amazone et sa redingote rouge, le sabre au côté, parlant à la fois, pêle-mêle, avec éloquence pourtant, le français et le liégeois… […] Impétueuse, charmante, terrible, Théroigne ne sentait nul obstacle… Elle avait eu des amours, mais alors elle n’en avait qu’un, celui-ci violent, mortel, qui lui coûta plus que la vie, l’amour de la Révolution. »
Vraie ou fausse, la supposée
présence de Théroigne de Méricourt lors des journées d’octobre lui valut d’être
poursuivie par la justice qui, sous la pression des milieux monarchistes,
chercha à lui faire porter la responsabilité des débordements qui
marquèrent ces événements. En raison de cette menace, elle partit se réfugier
en Belgique où, en janvier 1791, elle
fut enlevée par des mercenaires autrichiens qui la transportèrent jusque dans
une prison du Tyrol. Libérée pour raisons de santé au bout de quelques mois,
elle regagna Paris début 1792 où sa rocambolesque aventure lui assura un
triomphe.
Plus que jamais favorable à la
guerre après l’injuste emprisonnement dont elle avait été victime, Théroigne
n’en oublia pas pour autant la cause féministe qu’elle avait toujours cherché à
défendre. Elle fut ainsi parmi les premières à demander la constitution de
« légions d’amazones » qui eussent permis aux femmes de participer
aux combats. Dans le même temps, elle déclarait dans un discours à la Société
fraternelle des Minimes (mars 1792) :
« Il est temps enfin que les Femmes sortent de leur honteuse nullité, ou l'ignorance, l'orgueil, et l'injustice des hommes nous tiennent asservies depuis si longtemps [...] Citoyennes, pourquoi n'entrerions-nous pas en concurrence avec les hommes ? »
Curieusement, ses prises de
position en faveur de l’émancipation des femmes furent jugées bien trop
révolutionnaires pour l’époque… Moquée, isolée, Théroigne de Méricourt entama
son déclin politique. Elle ne refit surface qu’épisodiquement, d’abord lors de
la journée du 10 août où elle se distingua en faisant massacrer le journaliste royaliste Suleau qui l'avait éreintée plus d'une fois dans Les Actes des Apôtres, puis, fatalement, au mois de mai
1793.
Le 15 de ce mois, alors que le
pouvoir girondin agonisait, elle se rendit à la Convention pour assister à la séance du jour. L’entrée de
l’assemblée était gardée par des tricoteuses, femmes des Halles, qui s’opposèrent à son passage
au motif que « la belle Liégeoise » était une
« brissotine », autrement dit une partisane des Girondins. Nullement
impressionnée, Théroigne de Méricourt tenta de pénétrer dans l’enceinte malgré
leur opposition et aussitôt une bagarre s’en suivit. Troussée de force, elle
fut fouettée à coup de battoirs par toute la bande de tricoteuses qui, on peut
le croire, mit du cœur à l’ouvrage. C’est Marat, maître dans l’art des apparitions théâtrales, qui
arrêta la fessée et permit à Théroigne de s’échapper. Celle-ci, humiliée et
meurtrie, fut considérablement affectée par cette épreuve. Elle sombra dans la
folie peu de temps après et fut internée en juin 1794.
Abandonnée par tous ses proches,
Théroigne de Méricourt passa le reste de sa vie en asile, soit vingt-trois
années. Elle mourut en 1817.
Un
petit ouvrage érotique publié en 1791 mentionne le nom de Théroigne de Méricourt
pour auteur. Ce Catéchisme libertin à l’usage des filles de joie et des jeunes
demoiselles qui se destinent à embrasser cette profession lui a été attribué
sous les indications suivantes :
PAR Mlle THÉROIGNE
THÉROIGNE au district, aussi bien qu'au bordel,
De ses talents divers a fait l'expérience ;
Par sa langue et son con précieuse à la France,
Son nom va devenir à jamais immortel.
Comme
beaucoup d’ouvrages licencieux de l’époque, celui-ci fut l’œuvre
d’auteurs
anonymes. L’utilisation du nom de Melle Théroigne intervint lors de la
deuxième édition. Il s'agissait d'un excellent
moyen de publicité eu égard à la sulfureuse célébrité de celle-ci à
l'époque (les royalistes lui prêtaient naturellement des mœurs plus que
dissolues). Bien que Théroigne de Méricourt n'ait sans doute pas rédigé
une seule ligne de ce Catéchisme libertin, son restant de notoriété doit peut-être plus à cet ouvrage que son engagement politique pour les droits de la femme.
KLÉBER
Quelle vie extraordinaire !! Elle mérite amplement sa place au panthéon des figures de la révolution...
RépondreSupprimerMais comme dirait Patrice Gélinet, dommage qu'elle ait eu une fin si pathétique
Ah ça ! Elle eut en effet un bien triste destin… Ceci nous montre en tout cas que la Révolution française se moqua éperdument de la cause des femmes. Olympe de Gouges passa sous la guillotine et Théroigne devint folle. Même en 1848, le temps des femmes n'était pas encore venu…
RépondreSupprimerAddendum : selon Michelet, la fustigation publique dont fut victime Théroigne avait été préparée par les Montagnards qui souhaitaient se débarrasser de l'encombrante féministe. Sa version différant sensiblement de la nôtre, nous la donnons ci-après :
RépondreSupprimer"Les Montagnards imaginèrent un moyen de lui ôter son prestige, de l'avilir par une des plus lâches violences qu'un homme puisse exercer sur une femme. Elle se promenait presque seule sur la terrasse des Feuillants ; ils formèrent un groupe autour d'elle, la saisirent, lui levèrent les jupes, et nue, sous les risées de la foule, la fouettèrent comme un enfant. Ses prières, ses cris, ses hurlements de désespoir ne firent qu'augmenter les rires de cette foule cynique et cruelle. Lâchée enfin, l'infortunée continua ses hurlements, tuée par cette injure barbare, dans sa dignité et son courage : elle avait perdu l'esprit".
Comme on l'a dit, Michelet avait aussi mentionné la présence de Théroigne aux journées d'octobre, ce qui paraît aujourd'hui assez douteux. Cette version des faits qui transforme les bourreaux de femmes en hommes et ajoute une préméditation nous paraît peu plausible au regard des dires des différents biographes de la belle Liégeoise. L'intervention de Marat, Montagnard s'il en fut, contredirait aussi l'idée d'un pareil complot. Enfin, Michelet, toujours prompt à romancer, laisse entendre qu'elle devint folle sitôt après avoir été fessée, ce qui ne fut pas le cas, bien qu'elle fut évidemment ébranlée par son supplice et que celui-ci fut probablement l'élément déclencheur de sa future démence.
Merci à vous pour cette belle évocation de l'attachante Théroigne de Méricourt.
RépondreSupprimerJ'ai une tendresse particulière pour la seconde partie de sa vie, après l'internement, qui nous est un peu connue par les observations d'Esquirol mais surtout par une lettre qu'elle écrivit à Danton en 1801. Cette lettre à l'intensité extraordinaire est à mon avis, et malgré sa folie, très supérieure à tout ce que Théroigne de Méricourt a fait imprimer du temps où elle était saine d'esprit.
On peut ajouter, pour la petite histoire, que l'internée des Petites Maisons de la rue de Sèvres avait considérablement changé d'opinions politiques pour devenir une fervente Robespierriste (cf. l'apostille de la lettre de 1801 : "Cette lettre m'a été remise par Théroigne de Méricourt [...] pour être remise à Danton qu'elle croit toujours existant et régnant ainsi que Robespierre pour qui elle a toujours la plus grande admiration le 20 ventôse an 9").
@ Luce
RépondreSupprimerMerci pour ces précisions très intéressantes. En effet, la lettre à Danton est un document de premier choix sur Théroigne de Méricourt. Cette lettre a d'ailleurs été assez récemment rééditée chez Verdier sous le titre "La lettre mélancolie".